C’est déjà la quatrième fois que je me rends au mont Emei, appelé en chinois Emeishan. En chinois, shan (山) signifie montagne (il est donc redondant de dire « mont Emeishan »). Les fois précédentes étaient en 2009, 2011 et 2012, à chaque fois pendant l’été, et accompagné de personnes différentes, amis ou famille.
Cette fois-ci, je n’ai pas fait le combo « Bouddha de Leshan + Mont Emei ». Nous sommes partis le matin de Chengdu et sommes arrivés le midi au pied de la montagne. Nous l’avons monté l’après-midi et le lendemain matin, et sommes redescendus vers midi pour rentrer à Chengdu.
Je n’étais jamais resté aussi peu de temps sur le mont Emei. Pourtant, nous avons eu le temps de voir l’essentiel, et c’est surtout la première fois que je monte au sommet avec un ciel dégagé, ce qui offre une vue superbe.
Un peu blasé au départ, je dois dire a posteriori que je ne me lasse pas du mont Emei et cette quatrième fois a peut-être été la plus belle.
Un peu de culture…
Le mont Emei serait occupé par l’homme depuis plus de 10 000 ans.
Aux premiers siècles de notre ère, il abritait un foyer taoïste mais il devint très vite un lieu sacré bouddhiste.
Le bouddhisme fut introduit en Chine par le biais de la route de la soie et se répandit dans toute la Chine avant de devenir une religion officielle de la Chine à la fin du 3ème siècle (avec le taoïsme et le confucianisme).
Sur le mont Emei aurait été bâti l’un des tout premiers temples bouddhistes de Chine au premier siècle.
Des sources disent qu’on pratiquait un art martial dans les monastères du mont Emei durant les 16ème et 17ème siècles (avant donc que soit introduit le kung fu au fameux monastère Shaolin dans l’Est de la Chine).
Le mont Emei est l’un des quatre monts sacrés bouddhistes de Chine avec les monts Wutai (province du Shanxi), Jiuhua (Anhui) et Putuo (Zhejiang). Ceci exclut bien sûr les monts sacrés du bouddhisme tibétain (comme les monts Gongga, Kailash, etc.)
Le site comporte un espace naturel protégé, et il est aussi classé au patrimoine de l’Unesco depuis 1996.
Notre parcours
N’ayant pas assez de temps pour monter la montagne depuis son point le plus bas, nous avons d’abord pris un bus pour monter au parking du temple Wannian, à environ 1000 mètres d’altitude. De là, il y a environ 35 kilomètres jusqu’au sommet, et un dénivelé de 2000 mètres environ à monter.
Cela représente une montée de 8 heures environ. Nous avons mis 5 heures le premier jour pour monter jusqu’au monastère de Xixiangchi (洗象池, qui signifie « la piscine où se baigne l’éléphant »), puis de là 3 heures jusqu’au sommet doré (金顶, ).
Il y a des endroits où la montée est vraiment très abrupte. Je me souviens surtout de la grosse montée juste avant le monastère de Xixiangchi, et une portion vers la fin, entre le monastère de Jieyin et le sommet doré.
On a parfois l’impression que les escaliers n’en finissent pas, et on déteste les descentes (comme après le pic de Huayan) car on sait que le chemin va ensuite monter d’autant plus.
Les monastères du mont Emei
La montagne est un lieu sacré bouddhiste, on y trouve donc de nombreux monastères et temples bouddhistes.
Certains sont plus grands et plus beaux que d’autres. C’est le cas du temple de Baoguo au pied de la montagne et du temple de Wannian à mi-chemin. Nous avons brièvement visité ce dernier avant de continuer notre ascension. Mais ce qui est intéressant au mont Emei, c’est que l’on peut dormir dans des petits monastères.
Le premier soir, nous nous sommes arrêtés au monastère de Xixiangchi, qui est objectivement le meilleur monastère pour passer la nuit. L’architecture y est très belle : le temple est construit sur plusieurs étages et il y a différents temples, on peut s’y laver les pieds à l’eau chaude le soir, et il y a toujours de nombreux singes.
Si vous avez l’occasion d’aller au mont Emei, le monastère du pic de Huayan est aussi un excellent choix.
L’avantage de ces petits monastères, c’est qu’il n’y a presque personne, à part des pélerins acharnés, des touristes chinois fous, et des touristes étrangers inconscients.
La masse des touristes chinois, qui débarquent chaque jour en groupe par centaines, se contentent de visiter les monastères proches des parking où vont les bus ou des stations de téléphériques, et le sommet. Très peu y viennent de façon indépendante, et encore moins font la montée à pied. Certains préfèrent monter en bus et téléphérique au sommet, et redescendre la montagne à pied. Je pense que tout perd alors de son charme. On savoure d’autant mieux une chose qu’on l’a espérée pendant longtemps ou qu’on a souffert pour l’obtenir.
Une des dernières portions de marche, entre le parking de Leidongping et la station de téléphérique, est noire de monde, et on regrette alors les grosses montées où on est seul avec son effort. Le sommet est également bondé, si bien qu’on hésite à s’y attarder. Heureusement cette fois-ci il faisait beau et il y avait de quoi rester pour admirer la vue.
Une nature sauvage
Certaines portions du mont Emei sont magnifiques car on y trouve une nature quasi-sauvage, malgré le chemin balisé de marches sur l’ensemble de la montagne (au passage, on ne peut que saluer le grand esprit bâtisseur du peuple chinois, car ce chantier titanesque a dû mobiliser une énergie considérable pour acheminer tous les blocs de pierre sur la montagne).
- La flore : Certains endroits du mont Emei accessibles seulement à pied sont perdus dans une forêt assez dense. Il y a paraît-il des arbres centenaires. J’ai surtout apprécié quelques beaux spécimens situés en bordure de chemin.
La flore évolue bien sûr avec l’altitude. Plus on monte et plus on trouve des conifères et autres végéraux aux feuillage persistant, alors que l’altitude plus basse révèle une forêt subtropicale.
- La faune : L’animal le plus emblématique du mont Emei est bien entendu le singe. Ce sont des macaques du Tibet et on en trouve à de nombreux endroits de la montagne. De nombreux panneaux rappellent que les singes peuvent être agressifs, et qu’il ne faut pas jouer avec eux. Une guide disait même dans le bus pour le parking de Wannian qu’il arrivait que des personnes se fassent mordre ou griffer. Il est alors recommandé de se faire injecter un sérum contre la rage. En fait, je crois qu’il ne viennent vers vous que s’ils pensent que vous avez de la nourriture sur vous. En revanche, ils adorent profiter des moments d’inattention des moines pour trouver de la nourriture. Le deuxième jour pendant le petit déjeuner au monastère de Xixiangchi, nous avons ansi vu deux singes se précipiter vers une table adjacente de la nôtre et que les personnes venaient de quitter pour voler les pains restants, le tout dans le vacarme d’une chaise renversée par leur passage brutal, avant d’être chassés par un moine. Peu après, j’ai aussi vu un macaque fouiller dans les poubelles, manger les restes d’une boite de nouilles instantanées avant là encore d’être chassé par un moine.
Un autre animal est très présent au mont Emei mais on ne le voit pas. En revanche, on l’entend constamment puisqu’il s’agit d’une espèce de criquet. On peut aussi voir d’autres insectes, dont de gros papillons qui viennent butiner les fleurs.
Le sommet
On arrive donc au sommet au terme d’une marche ereintante. Nous avons vraiment eu de la chance car le ciel était parfaitement dégagé lors de notre arrivée au sommet, et cela n’a duré qu’une demi-heure environ.
La grande surprise pour moi fut de pouvoir observer à l’horizon le mont Gongga (ou Minya Konka), mont sacré tibétain culminant à plus de 7500 mètres et point culminant du Sichuan. Après vérification sur Internet, il serait parait-il visible de Chengdu par temps clair, mais je doute que la météo soit suffisamment bonne (et la pollution suffisamment faible) pour que ce soit possible.
Après avoir monté les dernières marches, on peut admirer la grande statue dorée représentant Samantabhadra avec ses nombreuses têtes, assis sur quatre éléphants. Le mont Emei est consacré à ce grand bodhisattva. Il y a quatre grands bodhisattvas en Chine : la pratique (Samantabhadra), la sagesse (Mañjuśrī), la compassion (Avalokiteśvara) et le vœu (Ksitigarbha). Ils désignent les quatre conditions nécessaires pour devenir bodhisattva (le bodhisattva est une personne ayant fait vœu de suivre le chemin de Bouddha pour aller vers l’éveil). Chacune des quatre montagnes sacrées de Chine est associée à un des quatre grands bodhisattvas.
Enfin, on peut du sommet d’Emeishan admirer la mer de nuages en contrebas.
Une demi-heure après notre arrivée au sommet, le ciel s’était déjà recouvert. On ne voyait déjà plus le mont Gongga à l’horizon. Aussi nous avons décidé de redescendre.
Un peu de physique
Sur le mont Emei, on peut assister à un phénomène physique très particulier : la lumière de bouddha, aussi appelé gloire.
Ce phénomène se manifeste par l’apparition d’une auréole multicolore autour de la tête de son ombre projetée sur les nuages.
Ce phénomène optique amusant s’explique très simplement : la lumière visible est composée d’une certaine plage de couleurs (du rouge au violet). La lumière peut subir un phénomène de réfraction et de reflexion dans les gouttes d’eau des nuages. La réfraction dans les gouttes d’eau, qui est un milieu dispersif, s’accompagne d’une dispersion de la lumière (l’indice de réfraction dépend de la couleur). Comme pour un arc-en-ciel, on observe donc des anneaux de différentes couleurs du rouge au violet. La différence ici est que l’angle formé par les anneaux est petit et que les anneaux entourent la tête de l’ombre de l’observateur.
C’est sur le mont Emei que ce phénomène aurait été observé pour la première fois au premier siècle de notre ère. Mais on n’en connaissait alors pas l’explication scientifique, et au cours de son histoire de nombreux pèlerins exaltés se sont jetés dans le vide depuis le sommet, croyant être appelés par Bouddha.
Conclusion
À chaque visite du mont Emei, on découvre des choses différentes. Je suis déjà certain que j’y retournerai. Mais j’espère que la prochaine fois ce sera en hiver, car jusqu’à maintenant je n’y suis allé que pendant l’été. La saison froide doit sûrement donner à ce lieu un caractère différent, et il y a probablement moins de touristes. J’espère aussi aller sur la « partie gauche » de la montagne car à toutes les fois précédentes je suis monté par la partie droite et redescendu en bus…
Hé, ben ! T’en as du courage de monter encore une fois ces marches !