Légumes lacto-fermentés du Sichuan

Avec un désir de plus en plus accru de retour à une alimentation saine dans notre société, les légumes lacto-fermentés, qui sont issu d’un procédé ancien de conservation, refont surface. On vante leurs mérites sur le plan nutritif et celui de la santé, notamment dans le monde du bio. Dans cet article, je parle de la fabrication de ces légumes fermentés en Chine, en donnant en particulier la recette de ma famille chinoise, dans le sud du Sichuan.

Voilà plusieurs mois que je n’ai pas alimenté ce blog. J’ai quitté le Sichuan et j’habite maintenant à Shenzhen, dans la région de Canton, dans le sud de la Chine.

Peu après mon déménagement à Shenzhen, j’ai préparé un nouveau pot pour la fermentation de mes légumes, car je raffole de cet aliment, qui peut être consommé tel quel, ou transformé dans la cuisine.

C’est quoi les légumes lacto-fermentés?

Ce sont des légumes qui ont subi une fermentation lactique. De façon générale la fermentation est une transformation métabolique (biochimique) de glucides (sucres) en autres espèces chimiques. L’alcool est issu de la fermentation alcoolique des sucres contenus dans les fruits ou céréales, le yaourt est issu de la fermentation du lait (transformation du lactose en acide lactique), et de même les légumes lacto-fermentés sont des légumes transformés par la fermentation qui transforme leurs sucres en acide lactique. La fermentation du glucose par exemple est un ensemble de réactions biochimiques dont le bilan global est le suivant :

    \[\begin{chemmath}C_6H_1_2O_6  \longrightarrow 2 C_3H_6O_3\end{chemmath}\]

Le glucose :

    \[\begin{chemmath} C_6H_1_2O_6\end{chemmath}\]

est alors transformé en acide lactique :

    \[\begin{chemmath} C_3H_6O_3\end{chemmath}\]

La fermentation est une transformation opérée par des ferments, en l’occurrence des bactéries lactiques (Leuconostoc, Lactobacillus), qui sont naturellement présentes dans des milieux naturels, notamment les intestins des mammifères, le sol, et la surface des végétaux (ce sont ces bactéries qui nous intéressent ici).

Faire des légumes lacto-fermentés, c’est en fait l’art de cultiver un milieu où va se développer une colonie de bactéries utiles, et où les autres micro-organismes (bactéries ou champignons microscopiques) potentiellement néfastes seront inhibés. Car en effet les bactéries que l’on souhaite cultiver ne sont pas les seules à être présentes naturellement à la surface des légumes, et dans cette compétition de micro-organismes, on ne veut favoriser que ceux qui nous sont utiles.

On sait que les végétaux sont naturellement soumis à la putréfaction, c’est à dire la décomposition des composés organiques par des micro-organismes et on veut évidemment éviter cette transformation. En pratique on favorise les bactéries utiles en privant le milieu d’oxygène (milieu anaérobie) et en diminuant l’activité de l’eau en ajoutant du chlorure de sodium (sel de table). Puis, l’acidification due à la production d’acide lactique inhibe le développement d’autres micro-organismes responsables de la putréfaction.

Bien sûr, cela est très théorique, et les hommes n’ont pas attendu d’avoir des connaissances en microbiologie pour pratiquer la fermentation, puisque ce procédé date au moins du Néolithique.

Voici maintenant comment nous faisons traditionnellement les légumes lacto-fermentés dans le Sichuan, et comment je perpétue cette tradition dans mon appartement à Shenzhen.

Le pot

Il y a plusieurs contenant possible pour réaliser une lacto-fermentation. Le contenant traditionnel est le pot en terre cuite et à joint d’eau, tel que celui-ci :

pot joint d'eau légumes lacto fermentés

Pour assurer le milieu anaérobie, le couvercle est posé sur le pot et l’étanchéité à l’air extérieur est assuré en mettant de l’eau (le joint d’eau).

pot à joint d'eau légumes lacto fermentés

Remarque : j’ai acheté ce pot sur internet, car difficile à trouver à Shenzhen, contrairement au Sichuan. Ici, les gens préfèrent utiliser des pots plus petits et en verre (toujours à joint d’eau). On trouve aussi ce genre de pot pour la fabrication traditionnelle de la choucroute, il est donc tout à fait possible de suivre ma recette avec un pot à choucroute, aussi achetable sur internet en Europe.

Avant de l’utiliser, nous réalisons un test, comme montré dans la vidéo ci-dessous (en achetant le pot dans un magasin, le vendeur l’aurait fait devant nos yeux) :

On fait brûler un morceau de papier et on ferme le couvercle avec le joint d’eau. La dilatation par la chaleur fait sortir l’air du pot (bulle dans le joint d’eau) puis rapidement la combustion cesse par manque d’oxygène et l’air intérieur se refroidit et se rétracte, aspirant le joint d’eau. Ce test démontre la bonne étanchéité du pot. Le joint d’eau remplira son rôle : l’oxygène ne pourra pas entrer dans le pot, et les gaz issus de la fermentation pourront en sortir facilement.

Recette

La base de la recette, c’est une saumure, c’est à dire de l’eau et du sel. Dans ce pot, qui peut contenir 5 litres, j’ai bien dû mettre 50 g (on peut en mettre moins).

Ensuite, on ajoute les aromates qui donneront un bon goût au mélange :

  • du gingembre (jeune de préférence)
  • du poivre du Sichuan (encore vert)
  • des piments (frais)
  • des branches de céléri
  • un bloc de sucre de canne. Le sucre va donner du goût et alimenter la fermentation. Le goût final des légumes ne sera pas du tout sucré, mais très acide.

bloc sucre de canne

Surtout pas de vinaigre ! L’acidité va se créer naturellement par la fermentation.

On met également les premiers légumes. En l’occurrence, des légumes facilement fermentables : des carottes et des choux blancs.

piment chou carotte gingembre

Il n’y a plus qu’à fermer le pot et ajouter de l’eau pour le joint, et c’est terminé ! Après 3 ou 4 semaines, on peut commencer à consommer ses légumes. On peut surtout ajouter d’autres légumes peu à peu, et ajuster le goût en ajoutant des aromates.

Entretien, conservation

Ces légumes sont très faciles d’entretien, il faut seulement s’assurer que le joint d’eau est toujours rempli, pour éviter que l’air ne rentre dans le pot.

Le pot est placé sur le balcon, et est soumis à des températures variables au long de l’année (entre 10 et 35 degrés ici). Toutefois au début, pour démarrer la fermentation, il convient que la température soit de 20 degrés (ou un peu plus : une température plus grande accélérera la fermentation).

Le pot n’est jamais vidé : on ajoute ou enlève des légumes selon le besoin, et les légumes à l’intérieur se conservent très longtemps (je suppose qu’on peut manger les légumes 1 ou 2 ans après sans aucun problème).

Une fois que le milieu est stable, il n’est plus nécessaire d’attendre 3 ou 4 semaines pour consommer le légumes : les choux ou les carottes par exemple peuvent être consommés après 1 jour dans le pot. Bien sûr, plus le légume restera longtemps, et plus il aura du goût.

Le joint à eau doit être nettoyé régulièrement, car il peut s’y développer une vie microbienne ou des larves qui sont indésirables, bien que ne compromettant pas la qualité et la sécurité du contenant. Aujourd’hui, je constate que mon joint d’eau devrait être nettoyé :

joint à eau à nettoyer

Il peut aussi apparaître à la surface du mélange intérieur un film blanc, cela ne compromet en rien la qualité et la sécurité du mélange :

film blanc légumes lacto fermentés

Dans les premiers temps, mon beau-père venu nous visiter avait ajouté dedans un peu de vodka pour « tuer les microbes », mais je ne suis pas certain que cela soit nécessaire.

Avantages des légumes lacto-fermentés

Je ne vais pas développer beaucoup sur les avantages de cet aliment, on peut trouver de la documentation ailleurs facilement. Pour faire simple les avantages sont :

  • nutritif : les légumes lacto-fermentés ne connaissent pas de cuisson et sont donc très riches en vitamines qui sont habituellement détruites lors de la cuisson. Même, la vie microbiologique augmente le taux de certaines vitamines
  • santé : la fermentation transforme les légumes pour les rendre plus digestes.  Les légumes lacto-fermentés sont bons pour les fonctions digestives et le système immunitaire
  • gustatif : contrairement à d’autres modes de conservation des aliments (pasteurisation, congélation…) le goût des légumes n’est pas atténué
  • conservation : les légumes peuvent être conservés des mois voire des années
  • écologique : la conservation ne nécessite aucune source d’énergie (ni production de chaleur, ni production de froid) ni conditionnement (pas de déchets)
  • cuisine : les légumes lacto-fermentés peuvent être consommés tels quels, mais aussi dans des plats (soupes, plats au wok, ou sur des aubergines rôties, un régal)

4 réflexions au sujet de « Légumes lacto-fermentés du Sichuan »

  1. Très bien ! Différent de ce qu’on lit habituellement sur la lactofermentation.
    Petites questions :
    Quelle quantité d’eau pour la saumure (pot de 5 litres) ? Vous indiquez 50 g de sel mais rien pour l’eau…
    Pas besoin de presser les légumes dans le pot ?
    Légumes entiers ?
    Merci de votre réponse
    Bien cordialement

    1. Bonjour,
      Le pot fait en effet 5 litres et est bien rempli, sachant qu’il y a aussi le volume des légumes. La quantité de sel indiquée, qui est approximative, doit correspondre à environ 4 litres d’eau. On doit pouvoir réussir la fermentation en mettant plus ou moins de sel (j’ai tendance à en mettre relativement peu, car certains comptent autour de 30g de sel par litre).
      Les légumes sont découpés et lavés, mais non pressés.
      Pierre-Jean

  2. Bonjour,
    Très intéressant ce sujet, je pense sérieusement à me faire fabriquer un tel pot dans un village de potiers dans le centre de la France.
    Merci à vous.
    Franck

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