Si pour vous, le mahjong est un jeu solitaire qui consiste à assembler des tuiles par paires pour les faire disparaître d’une construction, vous allez découvrir aujourd’hui ce qu’est le véritable (et merveilleux) jeu de mahjong ! Vous ne comprendrez pas tout car les règles sont complexes et je ne les explique pas en détail, mais j’espère susciter au moins un peu votre intérêt.
Si vous savez jouer au mahjong avec la règle officielle chinoise (ou bien au mahjong de Shanghai, de Wenzhou, ou autre), c’est bien mais vous êtes encore loin de la vérité, et vous devez à tout prix apprendre à jouer à la meilleure variante du mahjong du Sichuan : celle de Xichang.
C’est quoi le mahjong ?
Il n’existe pas un mahjong mais des mahjong, en fait il y en a des centaines de variantes en Chine.
Si on veut en donner une définition commune, on peut dire que le mahjong est un jeu se jouant normalement à quatre, qui consiste à piocher et se défausser de tuiles afin de former dans sa main des combinaisons (suites, ou brelans). C’est un jeu en plusieurs manches et le but est d’accumuler le plus de points (ou d’argent).
Origine du jeu de mahjong
L’origine de ce jeu n’est pas très sure. Une légende voudrait que ce fût Confucius qui inventât ce jeu vers 500 avant J-C. Plus raisonnablement, on estime que le jeu sous cette forme est apparu en Chine dans la deuxième partie du 19ème siècle. Il pourrait avoir été inventé à partir de l’ancien jeu de cartes appelé madiao (马吊).
On ne sait donc pas qui a inventé le jeu mais il semblerait qu’il vienne de l’est de la Chine, de Shanghai ou sa région. Les différentes hypothèses pour l’inventeur hésitent entre un noble de Shanghai, deux frères de Ningbo, ou des officiers chinois durant la révolte des Taiping.
Matériel de jeu
Le mahjong se joue avec des pièces appelées « tuiles ». Suivant la variante du jeu, on ne jouera pas avec les mêmes tuiles.
Dans le mahjong officiel, il y a 144 tuiles :
- les cercles (36). Numérotés de 1 à 9, chacun en 4 exemplaires. En chinois 筒子 (tongzi) ou 饼 (bing)
- les bambous (36). Numérotés de 1 à 9, chacun en 4 exemplaires. En chinois 条 (tiao)
- les caractères (36). Numérotés de 1 à 9, chacun en 4 exemplaires. En chinois 萬 (wan)
- les dragons (12). Dragon rouge, vert et blanc, chacun en 4 exemplaires. En chinois 箭牌 (jianpai)
- les vents (16) . Nord, sud, ouest, et est, chacun en 4 exemplaires. En chinois 风牌 (fengpai)
- les saisons (4) : printemps, été, automne et hiver, chacun en 1 exemplaire. Les fleurs (4) : prunier, chrysanthème, orchidée et bambou chacun en 1 exemplaire. En chinois 花牌 (huapai)
Dans le mahjong du Sichuan (que ce soit celui de Chengdu ou celui de Xichang), on ne joue qu’avec 108 tuiles : les cercles, les caractères et les bambous. Jouer ainsi avec moins de tuiles peut faire penser que cela simplifie le jeu et le rend donc moins amusant. Cela simplifie le jeu d’une certaine manière (cela le rend donc beaucoup plus abordable pour un occidental), mais cela ne le rend pas moins amusant et j’explique pourquoi c’est le contraire plus bas.
Pour reconnaître le nombre de cercles et de bambous, il suffit de compter. Par contre pour les caractères, il faut apprendre les chiffres chinois :
- 1 : 一 yi
- 2 : 二 er
- 3 : 三 san
- 4 : 四 si
- 5 : 五 wu
- 6 : 六 liu
- 7 : 七 qi
- 8 : 八 ba
- 9 : 九 jiu
En plus des tuiles, il y a aussi deux dés qui servent à déterminer au début de chaque manche où commencer à piocher les tuiles. Et bien sûr, tout joueur de mahjong qui se respecte jouera avec une table électrique (机麻, jima) qui à la fin de chaque manche mélange les tuiles et reforme les murs dans lesquels les joueurs vont piocher durant la manche.
Quand on n’a pas cette machine, on est obligé de faire ça à la main, ce qui est fatigant, surtout pour les habitants de Chengdu qui sont réputés être un peu paresseux.
Principe de base
Comment se joue le mahjong en règle générale (principe de jeu commun à toutes les variantes) ?
Au début de la manche, chaque joueur pioche 13 tuiles. Celui qui va commencer à jouer en pioche une de plus.
Chaque joueur joue à tour de rôle, dans le sens trigonométrique.
Jouer, c’est mettre une tuile dans son jeu et se défausser d’une autre.
Prendre une tuile : on prend une tuile soit dans la pioche à tour de rôle, soit la dernière tuile jouée par un autre joueur sous certaines conditions.
Au fil de la manche, la main évolue. Une main de 14 tuiles (les 13 tuiles dans la main plus une tuile) est victorieuse lorsqu’elle contient une paire, plus quatre triplets (suites ou brelans). Il y a en plus quelques combinaisons spéciales. Je sais, dit comme ça ce n’est pas très clair. Pour comprendre, prenons un exemple. Dans la photo précédente, qui est une partie de mahjong de Chengdu, le joueur dont on voit la main a justement une main victorieuse qui est après ré-agencement :
Il y a bien une paire : le « 4 caractère » est en double. Il y a aussi quatre triplets qui sont ici seulement des suites (c’est un hasard) : « bambous 1-2-3 « , « bambous 6-7-8 « , « caractères 1-2-3 » et « caractères 5-6-7 ».
C’est la tuile « 2 caractère » située face vers le ciel tout à droite de la main qui est la tuile ayant permis de rendre la main victorieuse.
Le mahjong officiel, c’est nul !
Vous avez appris à jouer au mahjong officiel (avec les vents, les dragons, les saisons et les fleurs) et vous trouvez que c’est un très bon jeu ? Vous devrez alors adorer le mahjong de Xichang !
Supprimer les fleurs et les saisons : dans les règles officielles, ces tuiles sont des « bonus gratuits » : si vous les piochez, vous avez automatiquement des points de bonus. Ces points sont donc dus à de la chance pure. Pour ma part, je préfère un jeu comportant le plus possible de tactique et de réflexion et le moins possible de hasard.
Compter les points : dans le mahjong officiel, le décompte des points est souvent incompréhensible pour un débutant, surtout l’attribution des points pour les mains spéciales. Dans le mahjong du Sichuan, il y a moins de combinaisons et le décompte est plus simple.
Fin de partie : dans le mahjong officiel, la manche se termine lorsqu’un des joueurs a une combinaison victorieuse (il annonce mahjong). Cette règle est sûrement la pire de toutes. En effet, si un de vos adversaires a la chance de piocher dès le début une main presque gagnante (il lui faut seulement changer une ou deux tuiles pour gagner) et vous non, il va probablement remporter la manche et pas vous. Là encore, le facteur chance prend le pas sur le facteur stratégie. C’est encore plus frustrant quand vous avez une main vous permettant de faire une forte combinaison : celle-ci est plus difficile à faire donc prend plus de temps, or quelqu’un va sûrement terminer avant vous.
Dans le mahjong du Sichuan, lorsqu’une personne a terminé, les trois autres personnes continuent à jouer et si une deuxième personne termine, les deux derniers joueurs continuent. La partie s’arrête lorsqu’il n’y a plus de tuiles dans la pioche, ou bien lorsque tous les joueurs sauf un ont terminé. Par exemple sur la photo précédente, la personne devant a déjà terminé et les autres continuent (je suis en train de piocher une tuile).
Cela bouleverse complètement la stratégie de jeu. Il ne s’agira plus de terminer le plus rapidement possible, il s’agira de trouver le meilleur compromis entre terminer rapidement et faire la combinaison la plus forte possible. En effet, il est tout à fait commun de remporter plus de points (ou d’argent) en finissant deuxième qu’en finissant premier. Il est possible de perdre des points (ou de l’argent) en finissant premier et au contraire d’en gagner en étant le dernier !
Il faut donc réussir à maximiser le potentiel de son jeu, savoir estimer les combinaisons gagnantes possibles et les chances de les obtenir (ou le risque de ne pas les obtenir)
Enfin, pour que le jeu de mahjong soit amusant, il faut jouer de l’argent (compter les points sur une feuille de papier, c’est moins amusant). Le jeu de mahjong a justement été interdit à l’époque de Mao, car jouer de l’argent était considéré comme un vice propre à une société capitaliste. Il a été autorisé à nouveau en 1985, même si jouer de l’argent reste en théorie interdit. Le jeu de mahjong du Sichuan se prête bien au jeu d’argent. Usuellement à Xichang, la mise de base est de 10 yuans (un peu plus d’un euro) par manche, mais il y a des gens qui jouent 100 yuans, et gagnent ou perdent ainsi l’équivalent de dizaines d’euros par manche (des centaines d’euros sur toute la partie)
Les combinaisons gagnantes du mahjong de Xichang
Une combinaison gagnante peut avoir différentes puissances. La plus petite puissance est 0, cela peut monter à 3 ou 4, voire plus.
La valeur d’une combinaison, c’est l’argent qu’elle vous rapporte. Si la mise de base est 10 yuans et que votre combinaison a une puissance 0, la valeur de votre combinaison est 10×2^0=10 yuans. Si la puissance est 1, c’est 10×2^1=20 yuans. Vous multipliez par 2 à chaque puissance : pour une puissance 3, c’est donc 80 yuans (environ 10 euros)
Puissance 0 (10 yuans)
C’est une combinaison basique (avec plusieurs couleurs, des suites…) :
Puissance 1 (20 yuans)
Le « tout pung », ou « tout brelan » est une combinaison sans suite (que des brelans plus une paire). En chinois c’est 大对 (dadui). En chinois le brelan se dit peng (碰). On peut constituer un brelan en piochant trois tuiles identiques ou bien si on en a deux identiques et qu’une autre personne se défausse de la même : on peut la récupérer et l’exposer devant soi.
Finir au milieu avec un 5 : vous remportez avec un 5 qui est au milieu d’une suite 4-5-6. En chinois 卡心五 (ka xin wu). Dans l’exemple ci-dessous, on finit au milieu avec un 5 si la tuile faisant gagner est le « 5 cercle », sinon c’est puissance 0.
Un autre moyen de gagner une puissance, c’est avec les carrés (en chinois gang, 杠). On peut faire un carré en piochant les quatre tuiles identiques ou bien si on a un brelan caché dans son jeu et qu’une autre personne joue la dernière tuile, on peut alors exposer le carré devant soi. Enfin on peut faire un carré si on a déjà exposé un brelan et qu’on pioche la dernière tuile, on la rajoute alors au brelan devant soi (巴杠, ba gang). Une combinaison a une puissance de 1 si la tuile qui fait gagner est la première tuile posée par une personne venant de déclarer son carré (杠上炮, gang shang pao), ou si la tuile gagnante est obtenue en piochant juste après avoir déclaré son carré (杠上花, gang shang hua). On peut enfin voler le carré d’un joueur adverse : si un adversaire fait un ba gang et que la tuile en question est gagnante pour soi, on peut la voler (枪杠, qiang gang).
Puissance 2 (40 yuans)
La couleur : toutes les tuiles sont de la même couleur (bambous ou cercles ou caractères). En chinois 清一色 (qin yi se)
Un-neuf. Il n’y a pas de 4, ni de 5 ni de 6. Seulement 1, 2, 3, 7, 8 et 9. Les brelans et carrés de 1 et 9 seulement sont autorisés. En chinois 幺九 (yao jiu)
Sept paires. C’est une combinaison spéciale : toutes les tuiles sont cachées (onn’a pas déclaré de brelan ni de carré) et la main contient sept paires. En chinois 小七对 (xiao qi dui)
Puissance 3 (80 yuans)
Sept paires dont un carré : idem, avec en plus deux paires identiques. En chinois 龙七对 (long qi dui)
Puissance 4 (160 yuans)
Sept paires dont deux carrés : idem avec deux carrés. En chinois 双龙七对 (shuang long qi dui)
Les puissances peuvent s’additionner, ainsi si vous avez un « tout brelan » d’une même couleur, la puissance est 1+2=3, cela vous fait 80 yuans (10 euros, pas mal, non ?)
Régle spéciale de Xichang : une dernière règle est très particulière dans le mahjong de Xichang, et en fait aussi son intérêt. Lorsqu’une main est prête (on attend de faire mahjong), il est possible de déclarer aux autres joueurs quelles sont les tuiles que l’on attend, on expose alors une partie de son jeu. Cela s’appelle 摆牌 (baipai). Par exemple ci-dessous, on a posé les « 7 cercle » et « 8 cercle ». Les autres joueurs voient ceci :
Il y a aussi un brelan de « 3 bambou », qui a été déclaré plus tôt dans la partie. Dans ce cas là, on remporte si on pioche soi-même un « 6 cercle » ou un « 9 cercle ». Il est possible de faire entre temps un carré si on pioche soi-même la dernière tuile « 3 bambou ».
Le grand intérêt de poser ses tuiles, c’est qu’il sera interdit aux autres joueurs de se défausser des deux tuiles qui nous font gagner. Cela peut être très embêtant pour eux s’ils avaient prévu de faire une forte combinaison sans ces tuiles et qu’ils les ont dans leur jeu.
Dans ce cas présent, on a posé seulement deux tuiles, il est possible d’en poser plus. Par exemple on peut poser la combinaison de bambous 3-4-5-6-7. Dans ce cas on gagne avec « 2 bambou », « 5 bambou » ou « 8 bambou ».
L’inconvénient de poser ses tuiles, c’est qu’on ne peut plus rien changer à sa main, à part constituer des carrés. De plus, on peut s’apercevoir qu’on ne pourra jamais gagner si les autres joueurs ont déjà pioché toutes les tuiles qui nous font gagner (après avoir posé ses tuiles, on peut aller regarder le jeu des autres joueurs puisque de toute façon on ne peut rien changer à son jeu).
Si on gagne après avoir posé ses tuiles, la combinaison de la main augmente d’une puissance. De plus, le fait de piocher soi-même la tuile fait que chaque personne encore en jeu nous donne de l’argent. En revanche il y a un risque : si on pioche une tuile qui ne fait pas gagner, on doit la défausser. Si cette tuile fait gagner un autre joueur, c’est sa combinaison à lui qui augmente d’une puissance. Ainsi, on ne posera ses tuiles que si on sait qu’il en reste beaucoup dans la pioche et qu’on a de bonnes chances d’en piocher (on peut déduire cela par ce que les autres joueurs ont précédemment joué).
Culture du mahjong
Bon, je sais que j’ai perdu l’attention des non-initiés dans la partie précédente. Cette dernière partie sera plus buvable je vous rassure !
Dans le Sichuan, il y a une véritable culture du mahjong. On voit souvent des gens, jeunes ou moins jeunes, y jouer sur les trottoirs dans des petites rues l’après-midi, ou dans des salons de thé.
Dans les salons de thé, il y a presque toujours des salles réservées au jeu (comme sur la première photo). Dans la salle : canapés confortables, télévision (lorsqu’on est plus de quatre personnes, les autres s’occupent autrement) et bien sûr table de jeu électrique.
Normalement, on paie la salle pour quatre heures. Le prix varie entre 40 et 100 yuans pour cette durée. Dans ce prix est normalement compris quatre verres de thé, et il y a aussi de l’eau chaude à volonté pour remplir les verres.
Souvent, lorsqu’une personne gagne un gros montant sur une manche, elle met une partie de côté. Chacun fait de même jusqu’à ce qu’il y ait assez d’argent de côté pour payer les quatre heures.
Lorsqu’on joue avec des amis, c’est souvent l’après-midi ou le soir. À la fin des quatre heures, on a souvent un petit creux dans l’estomac, et la personne ayant le plus gagné invite les autres personnes à manger. Quand c’est le soir, c’est souvent des brochettes.
Au final, quand on joue des petites sommes avec des amis ou de la famille, on passe un bon moment, on ne gagne ni ne perd beaucoup d’argent, et on finit par une bonne collation.
Voilà ! J’espère vous avoir donné envie d’apprendre à ce magnifique jeu. C’est tellement triste qu’en Occident on ne connaisse que le mahjong officiel ou pire le mahjong solitaire !
Merci pour cette variante du mah-jong ! Ça a l’air beaucoup plus intéressant en effet. Plus de place donnée à la stratégie moins à la chance et en plus la possibilité de se faire un bon repas ensuite (mais bon ça doit être tout le temps le cas ça)…
À plus Pierre-Jean
Oui, Merci pour ce petit volet règle qui parle beaucoup a l’ initié que je suis devenu.
Même si l’on se coupe du charme d’appeler les fleurs et les saisons… ^^ Magnifique jeu et cette règle permet de jouer avec mise et argent sans trop de calculs compliqués . Je prends!!! Merci